La première journée de tournage d'un récit de vie

Par Juliette

 

Samedi après midi, dans notre local au 8e étage, la pièce destinée au studio de prise de vue est entièrement camouflée de noire. Le fond est déroulé, la chaise trône au milieu du studio, prête à accueillir la personne qui vient raconter son histoire devant la caméra… Ce « héros ordinaire », cet « anonyme exemplaire » - comme nous avons l’habitude de le nommer-  deviendra, une fois le film réalisé, un récit de vie qui sera projeté aux jeunes des ateliers musique et vidéo. Quelques jours auparavant, Olga avait installé toutes les lumières, quatre au total : l’une dirigée vers le visage de la personne filmée, l’autre tournée vers le mur opposé pour que la lumière se reflète, une troisième de trois quart derrière la tête pour créer un relief, et la dernière utilisée pour éclairer le fond.

Le protagoniste du récit de vie arrive, je ne le connaissais pas. Joëlle, après avoir échangé plusieurs fois au téléphone, l’a rencontré deux fois en chair et en os, de longues heures. Entre les deux, elle a insisté pour rencontrer son père, car selon elle, c’était là toute la clef du récit : connaître la personnalité et l’histoire du père pour approcher le fils.  Et puis, on avait choisi pour ce récit que le fils en se racontant, raconte son père… Ce jeune homme de 30 ans arrive au local décontracté et confiant. Il sort un bout de papier sur lequel il a noté les thèmes importants à aborder pour que les jeunes comprennent et s’approprient son histoire. Il a très bien saisi l’enjeu de ce récit de vie : il doit être source d’inspiration pour les apprentis musiciens et vidéastes qui participent aux ateliers, et pour cela il doit permettre aux adolescents de s’identifier, de faire des liens avec leurs propres vies.

Le tournage commence. Je suis derrière la caméra, le tournage paraît simple, je n’ai qu’à tout allumer : les lumières, le son et la caméra déjà prêts. Seulement, sur le moment, il y a toujours des réglages de dernière minute : le son du périphérique est bien trop prégnant, je décide finalement de lui poser un micro HF, le personnage est plus grand que ce qu’on imaginait, je dois rehausser les lumières du fond… Joëlle s’impatiente : « c’est bon, on y va ? » Allez, on se lance…

 

On se demande à chaque fois comment la personne assise face caméra, seule, les projecteurs en pleine figure, va pouvoir laisser aller sa sensibilité et raconter sa vie avec simplicité. Difficile pour la personne d’oublier qu’on enregistre ses paroles, lorsqu’on lui demande de s’éponger le front pour éviter les brillances, de reculer de deux centimètres, de regarder plus haut etc… Et à chaque fois, pourtant, ça fonctionne, elle oublie la caméra, le studio et tout le bazar qui l’entoure, et échange avec Joëlle. C’est une conversation à la fois intime et retenue qui s’enclenche. Le protagoniste est parvenu à nous raconter des moments de son histoire avec une tendresse et une analyse sensible. En deux heures, il y a eu très peu de questions ; joelle ne suggère que les thématiques (ex : le petit appartement ; le père qui toute sa vie a dû dire « oui » ou qui a tenu à ce que ses enfants apprennent sa langue, l’arabe…). Sa parole file avec des anecdotes imagées, émouvantes. J’imaginais déjà les adolescents réagir lors de la projection…

16h30, il faut arrêter, il doit partir. Nous n’avons pas fait le tour de sa vie, il a plein d’histoires à nous raconter, il faudra revenir et continuer. Mais c’est mieux comme cela, il faut le temps de digérer les premières paroles… et aussi les derniers réglages techniques…

 

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